RACINES


L’utilisation de l’art dans la ville


Vidéo à propos de La Grande Motte, station balnéaire conçue ex-nihilo par Jean Balladur de 1962 à 1974 (missionné par l’État).
Avec le témoignage de l'artiste Michèle Goalard (1936-2016).

"J'avais besoin de donner un ensemble, une âme, une racine à tout cet espace."
Michèle Goalard - 2015


21'12'' - 2015 - Global Vision production




Vacillements

par Anne Jarrigeon
Anthropologue, vidéaste, maîtresse de conférences à l’École d’Urbanisme de Paris

"A l’arrière de la péniche Louise-Catherine, dans le creux sombre de la cale, la vidéo de Lucinda Groueff, projetée à même le mur, fait rayonner l’incandescente lumière de La Grande Motte. Le blanc éblouissant des constructions et sculptures de Jean Balladur et Michèle Goalard s’étire et semble, sur le bord accidenté de l’image, repeindre le béton brut du bateau. Transfert de lumière, transfert de couleur sur ce matériau de prédilection utopique, ici comme là-bas.

Succession de longs plans fixes, l’œuvre de Lucinda Groueff apparaît d’abord comme une quasi photographie. Le visiteur curieux se penchera pour mieux voir. Il se saisira peut-être des casques à disposition pour se soustraire à l’ambiance sonore de l’exposition et se retrouver sur les bords de la Méditerranée. Crissement des pas dans le sable des allées, souffle du vent, rires d’enfants recomposeront pour lui l’atmosphère de la péniche. Peut-être même aura-t-il envie de s’arrêter tout à fait, de prendre le temps d’attendre la séquence suivante et ressentira-t-il alors le bateau tanguer discrètement. Peut-être éprouvera-t-il le vertige suscité comme un écho aux infimes mouvements de la caméra qui, malgré sa fixité apparente, ne semble pas avoir été posée sur un pied.

Plancher vacillant, soudain fragile, comme sont devenues ces « racines  cosmiques », de la Grande Motte à laquelle est consacré le film. Lucinda Groueff cadre en plan large les lieux ou plus précisément ces « incidents sculpturaux » conçus par leurs créateurs, Michèle Goalard et Jean Balladur, pour créer un « sol originel » à la ville nouvelle. Michèle Goalard se remémore en voix off les principes de ces réalisations à « valeur d’usage », réponses concrètes à la préoccupation de Jean Balladur de donner une « âme » à son architecture. Ils ont conduit à des formes symboliques très fortes, à la fois œuvres aux noms évocateurs – « Les Tramontanes », « Le Labech », « Les vagues », « La Terre » … - et éléments d’un terrain d’exploration et de jeux.

« Jeux interdits et dangereux », peut-on désormais lire sur des pancartes fixées sur les sculptures elles-mêmes. Puis la vidéo, par l’efficacité redoutable de son montage, nous donne à entendre le son assourdissant de voitures précisément là où elles sont depuis l’origine interdites d’accès. Cette collusion avec une vue du tracé piétonnier de Jean Balladur fait soudain émerger un doute quant au devenir des lieux.

Quoi de plus approprié qu’un bateau pour déstabiliser la perception des ancrages fragilisés par l’évolution des usages ?"




Vidéo présentée à l'exposition Urban Utopias.
Projection en continu dans la cale de la péniche Louise-Catherine, à l'automne 2015.
La péniche, conçue en 1915 en ciment armé pour acheminer du charbon entre Rouen et Paris, fut réaménagée par Le Corbusier en 1929 comme asile flottant pour les sans-abri (de 1929 à 1994) sous la gestion de l'Armée du salut. Elle coula en février 2018 suite à une importante crue de la Seine, lors de sa décrue.